Régime juridique de la preuve en droit social
La charge de la preuve
En matière civile, il est bien établi que la charge de la preuve incombe au demandeur à l’instance, toutefois, dans le cadre des litiges sociaux, le demandeur est souvent le salarié, qui représente le maillon le plus faible dans la relation de travail et par conséquent, lui faire supporter la charge de la preuve peut lui être préjudiciable, notamment, en raison des difficultés qu’il peut rencontrer pour la production des preuves, alors qu’il ne peut plus accéder à l’entreprise.
C’est dans cette logique que l’O.I. T considère que « la charge de prouver l’existence d’un motif valable de licenciement devra incomber à l’employeur ». (L’article 9-2-a de la Convention O.I.T numéro 158).
En effet, si l’employeur dispose de la liberté d’invoquer le motif qui lui parait approprié pour justifier la rupture du contrat de travail, sans préavis, ni indemnité, il devra, en revanche, lui incomber l’obligation de prouver l’existence des faits qu’il reproche au salarié.
Au Maroc, selon l’article 400 du DOC « Lorsque le demandeur a prouvé l’existence de l’obligation, celui qui affirme qu’elle est éteinte ou qu’elle ne lui est pas opposable doit le prouver », cela suppose que le salarié, licencié à cause d’une faute grave doit prouver qu’il n’a pas commis ladite faute, cette approche a longtemps été adoptée par la jurisprudence, « Arrêt n° 507 de la Chambre sociale du 26 novembre 1986, Doss Soc 85/6258 » avant qu’elle soit écartée ultérieurement.
A cet égard, la jurisprudence a opéré un inversement de la charge de preuve à l’occasion des licenciements pour faute grave, en ce sens, c’est à l’employeur d’apporter la preuve de ce qu’il avance, le cas échéant, la qualification de faute grave ne sera pas retenue, « Arrêt de la Cour suprême du 3 février 1999 doss. Soc n° 97/801 » quoique cette position avait déjà été adoptée par la cour d’appel qui a conclu que la charge preuve de la faute grave incombe à l’employeur, dans la mesure où il doit prouver la faute imputée au salarié. « Arrêt de la Cour suprême du 3 février 1999 doss. Soc n° 97/801 »
Avec l’entrée en vigueur du code du travail, le législateur marocain a tranché la question de la charge de preuve, en stipulant que « La justification du licenciement par un motif acceptable incombe à l’employeur », ainsi, si l’employeur invoque la faute grave du salarié, il est tenu de présenter aux juridictions sociales des éléments précis prouvant la matérialité des faits.
C’est d’ailleurs, la même évolution qu’a connu le régime de la preuve en droit du travail français, en effet, selon les dispositions de la loi de 1973, la charge de la preuve était répartie en égalité entre l’employeur et le salarié« Cour de cassation, Chambre sociale, du 11 décembre 1997, 96-42.045, Publié au bulletin 1997 V N° 436 p. 312 », ensuite, la loi 1989 a introduit un aménagement pour certaines situations, en faisant peser la charge de preuve, tantôt sur l’employeur exclusivement, tantôt sur le salarié et l’employeur ensembles,
A travers ces dispositions, il découle que le fardeau de la preuve n’est supporté par aucune des parties, néanmoins le législateur a introduit une précision : « si un doute subsiste, il profite au salarié » « Article L. 1235-1 du code du travail français », cette position sera partagée par les juges qui accordent le bénéfice du doute au salarié. « Cour de cassation, Chambre sociale, du 6 décembre 2000, 98-46.041, Inédit «
Toutefois, cette disposition, n’est retenue qu’en cas d’impossibilité du juge, au terme d’une instruction contradictoire, de former avec certitude sa conviction, ce n’est que dans ce cas de figure qu’il peut faire profiter le salarié du doute.
Aujourd’hui, il est de jurisprudence constante, que la charge de preuve incombe à l’employeur, la Cour de cassation avait confirmé dans son arrêt du 17 mars 1998, qu’il appartient à l’employeur « sur qui repose la charge de la preuve de la faute grave », « Cour de cassation, Chambre sociale, du 17 mars 1998, 95-45.446, Inédit » d’établir que le salarié avait dissimulé les faits qui lui étaient imputés, cette position a toujours été confirmée par les différents arrêts qui se sont suivis. « Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 17 mai 2011, 10-16.207, Inédit »
Toutefois dans un récent arrêt, la Cour de cassation a considéré que la charge de la preuve incombe au salarié qui prétend que l’employeur l’a obligé de démissionner, elle a conclu après investigation, que le salarié n’a pas pu prouver qu’il a été contraint de démissionner et que le fait de coercition ou de pression subies, sont incertains et ne sont pas prouvés. « Arrêt n1/911 de la Cour de cassation du 27/7/2021 doss soc 1476/5/1/2020 »
La charge de la preuve incombe aussi au salarié qui doit prouver qu’il a remis à l’employeur le certificat de maladie justifiant son absence, c’est ainsi, que la Cour de cassation marocaine a cassé la décision de la cour d’appel, au motif qu’elle devrait s’assurer du fait de la réception de de l’employeur du certificat médical, puisque le salarié n’a pas pu prouver la remise de certificat à l’employeur, ce qui justifie la faute grave caractérisé par l’abandon de poste. « Arrêt n° 1/865 de la Cour de cassation du 27/7/2021 doss soc 1130/5/1/2019 »
En fin, il est important de souligner la distinction faite en droit français, quant à la charge de preuve, en fonction de la qualification de la faute, en ce sens, la preuve de la faute grave repose exclusivement sur l’employeur, en revanche, elle ne repose sur aucune des parties lorsqu’il s’agit de la faute sérieuse.
A travers cette spécificité le législateur tente de rétablir un certain équilibre entre les parties, cette orientation a été très tôt, confirmée par la jurisprudence française qui a considéré que la charge de la preuve incombe à l’employeur, puisqu’il est « débiteur et prétend en être libéré » « Cour de cassation, chambre sociale, du 5 mars 1981, 78-41.806, Publié au bulletin des arrêts Cour de cassation Chambre sociale N. 187 »